La Maladresse

samedi 3 février 2018, par par Marie Pons

On entre et on s’assoit en tailleur sur le sol, une légère odeur d’encens flotte dans l’air. Au loin, un petit dieu garde la forêt de câbles qui court entre les deux musiciens-chamanes du groupe Cercueil / Puce Moment. Célia Gondol s’avance et délivre des notes retenues dans sa bouche puis lâchées dans l’air. Le chant perle comme des gouttes d’une eau fraîche et claire, il résonne dans cet espace ritualisé - étendue blanche, assises noires, large feuille d’or planant au-dessus de la salle.

Depuis sa voix, ce chant japonais qui monte du ventre, Célia Gondol déploie sa danse qui est adressée avec une grande douceur - cela passe par la détente du visage, une souplesse dans les yeux - aux membres du public qui lèvent tour à tour des visages attentifs vers elle.

Il y a quelque chose d’un sentiment précieux, un moment fragile que le moindre de nos gestes pourrait briser. On a le sentiment que le voyage au Japon effectué par l’équipe a coloré La Maladresse d’une douceur venue équilibrer les mouvements dysfonctionnels et involontaires qui étaient la matière de départ de cette danse là. On a le sentiment que le corps de Célia Gondol, grande interprète, a compilé, appris, agencé un grand vocabulaire gestuel pour en délivrer un précipité tout en bras fluides et ondulants, colonne serpentine et tête toujours mobile, balancée de droite à gauche. Elle est traversée autant qu’elle laisse passer images, sensations, sentiments. Elle danse en renouvelant toujours la source du geste, si bien qu’on ne se lasse pas de cette danse minimale qui en devient fascinante, mue par ses bras qui captent et agitent les particules de l’air tout autour.

Au-dessus, la lumière ondule, de micro-orages éclatent au plafond, leurs éclats se reflètent dans l’or suspendu. Une montée en puissance de la musique nous enveloppe tout à fait, soutenue par le chant de Pénélope Michel qui s’élève à son tour. La puissance tellurique du son qui envahit l’atmosphère chasse la danseuse pour laisser place à une vacance du geste. L’air s’épaissit, un instant de communion se tente. Puis un bleu ultra-violet tombe du ciel et s’inscrit à lui-seul comme une troisième et ultime partie de cette Maladresse japonaise.

L’écriture de Mylène Benoit se tisse dans la construction d’une atmosphère où la musique, la danse, la lumière, les couleurs coexistent à une importance égale pour créer une proposition chorégraphique. Avec La Maladresse elle livre sa pièce la plus concentrée, minimale, précise et de fait sensible. En forme de haïku en trois temps, la pièce surprend pour qui aura assisté à des étapes de travail, lors de Vivat la danse en janvier 2017 par exemple. Du matériau brut puisé dans les mouvements involontaires, tics et autres symptômes qui font du geste des gesticulations incontrôlables, la maîtrise qui se dégage de l’ensemble témoigne de la bifurcation qu’aura pris le travail en Orient. Pour arriver à quelque chose d’essentiel dont l’origine devient invisible, incorporée, minime. Que reste t-il de maladroit ici ? Elle seules le savent.