Chagrin de danse

jeudi 1er février 2018, par par Pauline Civard

La pièce Déplacement de Mithkal Alzghair avait été mon coup de cœur de "Vivat la danse 2017". Je me souviens du regard noir et incandescent de son interprète principal. J’étais complètement hypnotisée par son état de transe. Je fige dans mon esprit l’image de cette boucle dansée folklorique par trois hommes torse-nus, en rangers, faisant vibrer le sol en écrasant d’un pas lourd une veste militaire. Vu dans une salle à petite jauge, le spectacle créait une intimité immédiate avec le public ; j’étais moi-même très touchée par la sincérité des émotions que le chorégraphe partageait avec nous ; jusqu’au bouleversement.

Dans l’année qui suivait, on me demandait quel spectacle m’avait marqué, je répondais Déplacement.

On transporte souvent dans une première création tout son parcours personnel, on a l’entièreté de son existence pour affiner ce qui sera "sa première œuvre". L’enjeu de la seconde création est de taille. Gagnant en notoriété, parfois suite à l’arrivée du succès, le ou la jeune chorégraphe se sent dans l’obligation de créer vite un second opus pour répondre à des attentes.

Ce mercredi 31 janvier 2018, 21h32, confortablement installée au second rang dans un fauteuil bleu de la grande salle du Vivat, j’assiste au début de Transaction, deuxième pièce de Mithkal Alzghair. 22h35, le noir tombe annonçant la fin. 22h37, je sors. Je suis perturbée. Je ne m’attendais pas ça. La scénographie était grandiloquente, à mille lieux du rapport intimiste créé dans Déplacement. Les corps des quatre interprètes sont à la fois écrasés et écrasants, reliés entre eux par un système de cordes et de poulies (je suppute, une métaphore des fils du destin ?). De longs gémissements sortent de leurs gorges nouées en continu, faisant penser aux âmes errantes du Styx, à la frontière entre la vie et la mort. Des bribes de textes anciens sont déclamées à la manière d’un mourant dans un dernier sursaut de vie. J’attends un éclat, un renversement qui donnerait du corps à la pièce, un moment de grâce. Mais il ne vient pas. Le semblant d’émotion s’essouffle à l’image de vagues s’échouant sur la plage.

Il est étrange, quand on a pensé partager une grande intimité avec un artiste grâce à son œuvre, quand on a eu l’illusion qu’il faisait écho à notre sensibilité de s’apercevoir qu’il peut prendre une toute autre direction.

Mais on s’en remet.

A la différence d’un chagrin d’amour, ce n’est qu’un chagrin de danse.