Le jour du déménagement

samedi 27 janvier 2018, par par Elena Carbonelli

Ça y est demain c’est le jour du déménagement.

Comme si c’était 10 ans plus tôt je suis allée ranger ma chambre, docilement, imaginant ma maman piquant un adolescent en pleine période de nonchalance.

Aujourd’hui je suis adulte, et c’est tout seul qu’il faut que je remballe, que je range ma chambre, que je vide les lieux. Personne pour me crier dessus, enrager et avoir « les nerfs à fleur de peau ».

Alors me voici, me voilà, dans cette chambre où j’ai tant vécu. Je ferme la porte. Inspiration, expiration. En deux temps trois mouvements, tout est en vrac. Au fond, rien n’a changé. Quand je range ma chambre, je me transforme. Je me saisis de tous mes petits objets, quoi que des grands aussi, que j’étale subito en rond. Je me mets au centre comme un petit rituel. C’est moi le chef, je le sais. Je les regarde un par un, les défie un temps. Je les mate un peu c’est vrai, avant de redescendre de mes grands chevaux, pour leur murmurer des mots absurdes. Oui je leur parle aussi, parce que je les aime tous ces objets et eux, au moins ne me feront jamais de mal. Je crois qu’il me veulent du bien. Avant de commencer mon remue-ménage, je leur demande conseil pour mettre une musique.

Un vinyle sûrement. Et c’est parti.

Je sors de mes gonds, je suis cette star qui aurait voulu être un artiste, je suis Neil Armstrong aux premiers pas, je suis mon tonton quand il me faisait ses crêpes préférées à la chantilly avec des petites paillettes en sucre. Je glisse sur mon skate, je frotte avec ma serpillière, je tourne avec mes chaines de vélo, je relis la bible, Spiderman. Je mélange tout, j’accumule tout, je crée des mondes, je fais des ready made. Je suis peut-être un artiste finalement. En tout cas, j’ai fait les beaux-arts.

Je balance un autre vinyle, et je retraverse aussi mes romances. Marguerite, Sandrine, Hélène, Lou, Lili. Toutes celles qui sont parties. Toutes celles que j’ai laissées au coin de la cheminée, un peu nues, un peu fragiles, un peu ballerines. Une larme coule sur ma boite en plastique rouge. « Oh non, Loulou, ne pleure pas, rappelle toi aussi de moi, de ces soirées là..... ». Oups. Oui c’est vrai, que j’ai pu me transformer en chippendale ayant pour seul calfeutrage ce petit cube. Je retrouve les fanions du premier appartement que je partageais avec quatre copains. Une bougie d’anniversaire. Lequel, je ne sais plus. Le son de la techno retentit. Toujours pareil c’est vrai mais que c’est bon, le son de la décadence.

Je revis mes plus beaux moments, comme les plus désastreux, ou humiliants. J’en invente d’autres, un vrai poète, ou un « fou génialeux » (j’ai lu cette expression dans le livre de Philippe Brenot et je trouvais ça pas mal). Bref, un gros méli-mélo dans mon cerveau en surchauffe . Je tourne en rond, je tourne en bourrique. Je tourne sept fois ma langue dans la bouche et tout est fini.

La chambre est vidée, les objets entassées, pour laisser place à d’autres avec leur histoire propre.

Ça y est demain c’est le jour du déménagement.