Débordements

jeudi 1er février 2018, par par Marie Pons

Olga de Soto explore la mémoire des corps. Elle recueille les voix des autres aux quatre coins du monde pour tenter de… de quoi d’ailleurs ? Il n’est pas question ici d’exposer le fruit de ses recherches mais de délivrer ce que ça lui a fait d’aller à la rencontre de tant de souvenirs, de visages et d’histoires.
A partir de La table verte de Kurt Joos et de la mémoire des spectateurs qui ont vu la pièce, Olga tire des fils. Il y a quelque chose d’une tentative un peu désespérée, d’une amarre à laquelle elle s’accroche seule sur cet immense plateau nu et noir. Elle paraît petite mais ancrée. Bien là, mais un peu derrière aussi. Un peu en 2002, avec la naissance de son premier bébé, un peu en 2010 l’année où Vincent est parti. Un peu au Chili, un peu devant une tasse de thé anglais, un peu à Valence entre les murs d’un appartement vide rempli de crocodiles invisibles. Un pied dans l’enfance, un dans le presque passé. Elle nous sert le tout dans une enveloppe sensible. Sur le plateau une corde enroulée sur elle-même disparaît au fur et à mesure que s’écoule la pièce. Le temps s’effiloche et lui file entre les doigts, à l’image du sable blanc qui fuit en cascade douce sur la gauche. C’est triste. Et beau.
C’est une sacrée entreprise dans laquelle s’est lancée Olga de Soto, un travail de tissage - retrouver, collecter, écouter, disposer, agencer toutes ces voix et ces histoires personnelles - qui se mêle aux chemins de sa vie à elle, avec toutes ses péripéties. C’est avec pudeur et une sensibilité délicate qu’elle trace en mots et en mouvements les méandres de ce trajet, sans cesse guetté par l’érosion et la disparition.
La danse d’Olga de Soto est minimale et puissante. Une des voix, anglaise, dit qu’un seul geste, aussi infime soit-il peut être un évènement. Et Olga de Soto de danser pour retenir la danse dans son corps, pour incorporer celle de Vincent et ne pas l’oublier. Borrarse, s’effacer dit-elle, à quel moment une danse s’efface-t-elle du corps ? Et si elle s’efface de la mémoire est-ce qu’elle est toujours là quelque part, et où, et jusqu’à quand ? Si la danseuse a pris la parole c’est qu’elle a senti que la danse ne pouvait plus rien, elle nous le dit, la voix au bord des larmes. Obligée de parler pour raconter. Retenir les larmes et déverser des histoires, tracer encore des gestes et activer la mémoire des disparus. Forcément ça déborde.